LisezLaScience - 4 - La Théorie du Chaos de James Gleick
Il y a deux semaines, nous avons parlé du livre d’Hervé Lehning « L’Univers des nombres : de l’Antiquité à Internet ». Dans cet ouvrage, il nous a emmené tout au long de l’histoire pour découvrir comment les mathématiques ont été forgées, quelles ont été les étapes qui ont été prises et quels ont été les chemins arpentés pour aboutir aux mathématiques que nous utilisons aujourd’hui dans tant de domaines.
Aujourd’hui nous allons essayer de parler de l’histoire du Chaos, sans trop nous perdre tout au long du chemin, en abordant le livre de James Gleick “La Théorie du Chaos”. Ce livre a été choisi par vous, les poditeurs, via le sondage que j’avais proposé sur le site de LisezLaScience. “La Théorie du Chaos” est d’ailleurs arrivée loin devant les autres et c’est un plaisir de vous le présenter aujourd’hui !
James Gleick est un auteur et journaliste américain de la seconde moitié du XXème siècle. Diplômé d’Harvard en Anglais et en linguistique, il ne possède pas à proprement parlé de cursus scientifique.
Tout au long de sa carrière, il a travaillé dans différents journaux dont notamment le New York Times où il a évolué pendant près de 10 ans. Pour le New York Times Magazine il a notamment écrit sur de grands Hommes de science comme Stephen Jay Gould ou Benoît Mandelbrot.
On peut dire de James Gleick que c’est un vulgarisateur hors-pair. Mais taille XXL. Parmi les livres qu’il a écrit je n’en citerais que trois ou quatre pour vous montrer à quel point c’est un homme qui sait raconter des histoires de science de façon admirable: en dehors du livre dont nous allons parler aujourd’hui et qui reçu le prix Pullitzer (quand même !) et le National Book Award en 1988, il publia en 1992 “Genius: The Life and Science of Richard Feynman” pour lequel il reçu encore Pullitzer et National Book en 1993. Il reçu (encore) le prix Pullitzer en 2004 pour son liver sur Isaac Newton et son dernier ouvrage “The Information: A History, a Theory, a Flood” a notamment reçu le prix “Royal Society Winton Prize for Science Books” en 2012 (le même prix que reçu Brian Greene en 2000 pour “l’Univers Élégant”.
Autant dire, ce monsieur est quelqu’un de sérieux et qui sait raconter des histoires sur un sujet des sciences tout en restant captivant! Ses livres ont d’ailleurs été traduits dans plus d’une vingtaine de langues.
James Gleick est en plus quelqu’un qui vit avec son temps. Vous pouvez le retrouver sur internet et notamment sur son site : http://around.com (pas mal comme nom de domaine !!!), mais aussi sur twitter : @JamesGleick.
Venons-en au livre dont il est question aujourd’hui “La Théorie du Chaos”.
Si on ne connaît pas l’auteur, on peut croire que l’on va avoir à faire à un livre présentant les fondements mathématiques, théoriques du Chaos. Mais ce n’est pas ce que vous trouverez dans cet ouvrage. James Gleick ne va pas enchaîner, Théorèmes, Lemmes ou démonstrations pour vous donner un cours sur la théorie du chaos.
Si vous connaissiez l’auteur, et bien ce que je viens de dire ne vous étonnera pas …
Alors juste histoire de placer le contexte, je vais juste revenir sur ce qu’est le chaos. Pour les moins troglodytes d’entre nous, le chaos c’est un sujet qu’abordait Jeff Goldblum, alias le Professeur Ian Malcolm, dans Jurassic Park. Et pour ceux qui ne sont pas au courant : Jurassic Park, avant d’être un film à succès de Steven Spielberg, il s’agit d’un livre (aussi à succès) écrit par Michael Chrichton. Bon, pour revenir à Ian Malcolm : pour lui le chaos était une façon d’expliquer que l’on ne peut pas forcément savoir ce qu’il va se passer avec des dinosaures dans un environnement dans lequel ils n’ont rien à faire. Il donne d’ailleurs un exemple du chaos avec le chemin que peut prendre une goutte d’eau que l’on ferait glisser le long de sa main. On peut savoir ce qu’il va se passer au global, elle va descendre, mais on ne sait pas le chemin qu’elle va prendre. On sait juste que les imperfections de la main, la pression de l’ai environnant, le mouvement de la terre, etc sont des phénomènes qui influent sur le chemin que prendra la goutte.
Plus généralement on dit d’un système dynamique qu’il est chaotique si il est très fortement sensible aux conditions initiales et qui possèdent une forte récurrence dans son évolution.
D’ailleurs si vous voulez en savoir un peu plus sur le chaos, vous pouvez écouter l’épisode de Podcastscience que Robin a réalisé sur le sujet.
Avant d’entamer le coeur même de la revue, je voudrais juste signaler que je me suis inspirer d’une fiche de lecture qui m’a permis de recouper mes notes et qui s’est avérée très intéressante dans la rédaction de tout ceci. Cette fiche a été rédigée par Patrice Jeandroz et vous pouvez d’ailleurs y retrouver plein d’autres informations associées au chaos : d’autres livres ou des sites web en parlant.
Le Chaos : un terme bien étrange et complexe que l’on utilise pour décrire un peu tout et n’importe quoi. Mais surtout tout ce que l’on ne comprend pas. Enfin, tout ce que la physique classiques ne nous permet pas de comprendre.
Durant le XXème siècle, des domaines variés comme la formation des nuages en météorologie, la turbulence formée par les avions en mécanique des fluides, ou encore les paquets de données perdus dans les télécommunications furent associés au sein d’un domaine plus global que l’on nomma Chaos.
Les théories classiques se bornaient jusque-là à enseigner les comportements classiques des phénomènes, supprimer les perturbations trop importantes, éviter de considérer les turbulences, etc dans la droite lignée du déterminisme Cartésien qui fit foi pendant si longtemps. Mais ces outils montraient leurs limites. Pour tenter de trouver des solutions, les chercheurs furent plus imaginatifs, se concentrant sur les formes générales, se servant de l’outil informatique naissant pour essayer de simuler et de prévoir l’imprévisible.
Ces travaux, à la limite des domaines d’application auxquels ils tentaient d’apporter des réponses, étaient souvent à l’interface entre la physique, les mathématiques, la biologie, etc. Cet aspect disparate à longtemps laissé les chantres du Chaos isolé dans leurs domaines respectifs. Mais ceci a changé quand ils comprirent que les mêmes outils pouvaient être utilisés dans d’autres domaines.
Le premier a apporter sa pierre à l’édifice fut, selon James Gleick, Edward Lorenz. Météorologue de formation, il s’ingénia en 1960 à tenter de simuler le temps avec, dans un premier temps, les équations les plus simples possibles. Mais il se rendit compte d’une chose assez étonnante pour ce croyant dans le déterminisme newtonien : des imprecisions dans les paramètres d’entrée font apparaître sur le long terme des schéma totalement différents pour les prévisions du temps obtenues. C’est ce phénomène qui provoque une imprécision dans les prévisions que l’on voit à la télé pour le long terme.
Cette dépendance aux conditions initiales est un des points fondamentaux de la théorie naissante du Chaos. Cette dépendance a d’ailleurs inspiré le principe de l’effet papillon que tout le monde connaît aujourd’hui.
Pour arriver à comprendre ce qu’il se passe dans ces systèmes chaotiques, Edward Lorenz a décrit leurs comportements dans un espace dit de phases où l’on retrouve l’autre grand élément de la théorie du Chaos : les attracteurs étranges. Formes décrivant les trajectoires des systèmes chaotiques, le plus connus est aussi celui en forme de papillon décrit par ce cher Lorenz.
L’étude de systèmes chaotiques liés au vivant ont fait apparaître un autre outil : le diagramme de bifurcation qui montre comment les systèmes évoluent avec un changement dans les paramètres d’entrée. Cet outil a notamment été mis en place par Robert May, biologiste de Princeton.
Ces outils : attracteur étrange, diagramme de bifurcation, et d’autres se voient appliquer dans un grand nombre de domaines: les problèmes de fibrilation du coeur par exemple, ou encore pour les orbites des planètes.
Ce que l’on se rend compte avec le chaos, c’est qu’il est d’une part extrèmement sensible aux conditions initiales, qu’il ne se répète jamais (ce que l’on voit sur les attracteurs étranges), qu’il est tout du moins déterministe (des conditions initiales définies donnent une résultat défini).
Mais les chercheurs du chaos ne se sont pas arrêté là. James Gleick nous conte notamment l’histoire de Benoît Mandelbrot. En travaillant sur les problèmes de bruit dans les communications, il montra qu’à différentes échelles, on retrouve la même répartition de pertes de paquets. Et que cette invariance d’échelle est constitutive des objets fractals qu’il montra au monde.
Une fois que les mathématiciens créèrent cet objet, différentes sciences s’en sont emparées : biologie avec des la forme des feuilles, le fameux flocon de Koch, les nuages, les choux fleurs ou romanesko, etc, mécanique avec la surface de contact des pneumatiques, ou même en cosmologie avec la répartition des amas de galaxie, des galaxies, des nébuleuses, des étoiles, etc …
On remarque que ce chaos peut-être source d’ordre : les atomes s’agitent de manière désordonnée et aboutissent à un comportement de fluide, des phénomène d’auto-organisation comme pour la réaction de Belossov-Jabotinski ou d’auto-catalyse en chimie émergent de cette non-organisation au niveau inférieur.
Avec ces outils des problèmes auxquels on ne pensait pas trouver de solution se sont vu apporter un certain nombre de réponses et d’information pour comprendre quoi faire pour les prendre en compte : télécommunication, turbulence en mécanique des fluides, etc.
Au cours de son récit, James Gleick nous raconte la vie des pionniers du Chaos, Lorenz, Small, May, Feigenbaum, Mandelbrot, le groupe de Santa Cruz avec Shaw et Farmer, Libchaber, etc. tous ces hommes et femmes qui ont passé du temps à découvrir comment le Chaos émergeait dans les sciences et comment le dompter pour en apprendre plus sur les phénomènes qu’il régissait.
Des penseurs libres, et aussi un peu poète, qui ont su sortir des idées préconçues de leur science pour découvrir de nouvelles choses, aborder les problèmes avec un oeil neuf, et dépasser les barrières des disciplines pour apprendre des autres.
James Gleick nous raconte la théorie du Chaos non pas comme une suite de théorèmes mathématiques ou de protocoles physiques, mais comme une histoire. Une histoire où apparaissent de-ci, de-là des choses sans structure réelle, pour ensuite s’assembler, s’auto-organiser et permettre une cohérence globale. Une histoire aussi chaotique que les sujets qu’elle a cherché à aborder et comprendre.
Ce que j’ai ressenti à la fermeture de ce livre fut que James Gleick fait vraiment la part belle à l’humain dans ces recherches. L’histoire du Chaos fut vraiment celle de personnes à la recherche d’une compréhension plus profonde du monde qui les entourait, de personnes qui voulait voir plus loin que le chemin limité du monde ou tout se passe bien. Ils voulaient comprendre ce qui fait que la vie est la vie.
Ce livre m’a fait comprendre une chose : il y a une harmonie sous-jacente à toute chose qui forme notre perception du monde. Le chaos n’est qu’une de ses facettes. Pour l’entendre et la percevoir il nous faut juste le bon filtre pour que les accords parfait s’égrènent à nous dans toute leur globalité.
Je ne sais pas pourquoi, mais James Gleick me fait penser à William Gibson. Allez savoir (peut-être que c’est parce que leurs noms commencent par un G …). Et si il y a un livre auquel je pense concernant William Gibson c’est bien sûr “Neuromancien”.
Si ce livre n’est pas le chef d’oeuvre du style cyber-punk, je ne sais pas ce qu’il vous faut ! Ce livre a inspiré tout une génération d’écrivain, et de scénariste, comme pour Matrix, Akira, Ghost In The Shell, Elysium et d’autres.
Multi-récompensé : prix Philip K. Dick. et Nebula en 1984 ou encore prix Hugo en 1985, il s’agit d’un must-read absolu. Si vous n’êtes jamais entré dans le cyber-punk lisez-le. Il sera comme une initiation douce et en même temps psychédélique à ce monde qui peuple aujourd’hui la plupart des histoires fantastiques et de SF que nous voyons sur nos écrans. Dans la même veine on pourrait citer selon moi Blade-Runner, Johnny Mnemonic, et ceux que j’ai cité plus haut.
C’est peut-être l’omniprésence de l’informatique dans nos vie, les outils comme Oculus Rift qui vous immerge, ou encore les smartphones, nos connexions perpetuelles au réseau, le pouvoir de l’argent et des multi-nationales sur nos vie et la 3D qui me font dire que ces oeuvres sont parfois des oracles, certe audacieux, mais bien trop réalistes pour ne pas nous donner une vue de ce que pourrait être un futur peut-être pas si éloigné et fantasmé que ce que certains voudraient croire.
En lisant la “Théorie du Chaos” de James Gleick on se prend à vouloir en savoir un peu plus sur ces femmes et ces hommes illustres qui ont donné ses lettres de noblesse au Chaos. Ayant entendu parlé des fractales étant plus jeunes : ça faisait de jolies images, j’étais curieux d’en savoir un peu plus à propos de Benoît Mandelbrot et du travail qui a amené tant de changement dans nos vies grâce à lui.
Je ne sais pas si le livre “Les Objets fractals. Forme, hasard et dimension” qui a été publié en 1989 sera celui qui me fera tout comprendre tous les objets fractals, que ce soit à cause du livre ou de moi, mais je le mettrais volontier dans la liste des livres que j’aimerais lire!
Un livre qui vous permet de comprendre des choses à propos d’objets qui façonne autant de phénomène dans la nature et dans nos vies doit être profondément intense.
Cette citation est de Mary Shelley, l’auteur de Frankenstein:
Invention, it must be humbly admitted, does not consist in creating out of void but out of chaos.
Mary Shelley
Que vous ayez aimé ou pas, surtout, ne restez pas les bras croisés. Inondez-nous de courrier, de commentaires, de like - ou pas - de tweets, de retweets, de clin d’oeils, de serviettes en papier, je n’en ai plus à la maison ou l’oeuvre complète de Simon Singh si jamais elle ne vous sert que comme matériau pour allumer votre barbecue chaque été.
Vous pouvez ainsi retrouver LisezLaScience sur son site web http://lisezlascience.wordpress.com Vous pouvez aussi me contacter sur twitter sur @LisezLaScience et le podcast est accessible sur podcloud et sur podcastfrance (http://podcastfrance.fr/podcast-lisez-la-science).
Vous pouvez aussi m’envoyer des e-mails à lisezlascience@gmail.com
Vous pouvez d’ailleurs retrouver l’ensemble des livres cités sur la liste goodreads associée à ce podcast sur le compte de LisezLaScience. Les livres seront placés sur des “étagères” spécifiques par épisode et ceux de celui-ci sont sur l’étagère “lls-4”
On se retrouve le 22/06/2014 pour un nouvel épisode sur “Le Beau Livre de la Médecine - Des sorciers guérisseurs à la microchirurgie”.
D’ici là bonne quinzaine à toutes et à tous.
Vous pouvez retrouver la liste des livres dans goodreads à l’adresse suivante : https://www.goodreads.com/review/list/30797714-lisezlascience?shelf=lls-4
Create your
podcast in
minutes
It is Free