Littérature classique africaine
Society & Culture
Le Mauricien Barlen Pyamootoo est un romancier singulier. Ses livres racontent des « géographies des âmes », aime-t-il dire. Romancier, mais aussi cinéaste, éditeur et beaucoup d’autres choses en même temps, Barlen Pyamootoo s’est fait connaître en 1999 en publiant son premier roman Bénraès, un « road novel » beckettien qui renouvelle la pensée des racines et du désir si chère aux écrivains de Maurice depuis plus de deux siècles.
Bénarès de Barlen Pyamootoo est un roman important. Paru en 1999, ce roman marque une rupture dans la riche littérature mauricienne qui a plus de deux siècles d’histoire derrière elle. La tradition a commencé, on s’en souvient, avec le fameux Paul et Virginie (1789) de Bernardin St-Pierre, un roman mythique d’amour et des origines dont l’ombre a longtemps plané sur la création littéraire mauricienne.
Résolument moderniste dans son écriture et son inspiration, Barlen Pyamootoo coupe le cordon ombilical avec la tradition pour situer la nouvelle littérature mauricienne dans le sillage des Beckett, des Ionesco et des Kafka, mettant l’accent sur l’aventure de l’écriture plutôt que sur l’écriture de l’aventure. C’est cette démarche d’un littéraire plutôt que d’un conteur qui a remporté l’adhésion des éditeurs de L’Olivier, qui avaient reçu le manuscrit par la poste.
« Le livre nous a surpris par la simplicité déconcertante de son intrigue. Nous avons aussi été enthousiasmés par l’univers de Barlen et par la voix de cet écrivain au débit si hypnotique », me confiait il y a quelques années l’éditrice qui a travaillé sur les textes de Barlen chez L’Olivier. Les critiques ont aussi souligné le dépouillement de cette écriture, et son absence totale d’exotisme. On est loin des stéréotypes de l’île Maurice paradisiaque, que véhiculent les tours opérateurs chargés de vendre le pays aux vacanciers du Nord en mal d’exotisme.
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Un titre ludique
Il y a d’abord les titres. Les romans de Pyamootoo sont reconnaissables entre mille par leurs titres qui sont tout sauf programmatiques. Il s’agit de jeux de mots, qui suggèrent le thème, laissant au lecteur la possibilité de se frayer un chemin à travers des associations d’idées et des correspondances subtiles. C’est le cas par exemple de Bénarès qui fait faire aux lecteurs fausse route en les orientant vers la ville indienne au bord du Gange, alors que leBénarès dont il est question dans le livre est une bourgade perdue de l’île Maurice. Elle est beaucoup plus prosaïque que la ville légendaire indienne où les hindous se convergent pour être sûr d’aller au paradis.
« Ils font parfois un voyage long et pénible, rien que pour mourir à Bénarès », rappelle l’un des personnages. Pour inexacte qu’elle soit techiquement, cette référence à la ville indienne fait que tout le récit est hanté à un second niveau par les clichés et les mythologies liées à la ville indienne. Leurs poids viennent s’ajouter au malaise moral et social que le roman nous donne à lire à travers sa thématique de rencontres ratées.
Sexe, huis clos et rage
La recherche de rencontres sexuelles, tel est l’argument de départ de Bénarès. Le roman rapporte la virée dans la nuit mauricienne de deux amis partis à Port-Louis à la recherche des prostituées pour égayer leurs soirées. Les deux compères finissent par trouver des filles, mais sauront-elles combler les frustrations des deux compères ? On ne le saura pas. Le roman ne dit pas si le corps à corps annoncé aura vraiment lieu, mais le retour en voiture vers Bénarès, se transforme en un huis clos oppressant entre quatre âmes solitaires.
Leurs conversations à bâtons rompus, le paysage plongé dans la nuit qui défile, traduisent le néant des vies des protagonistes ou de la vie tout court. Racontée avec une bouleversante simplicité, sans emphase et sans recherche d’exotisme, cette quête ratée des personnages fait aussi entendre en sous-texte la rage rentrée d’une jeunesse mauricienne en mal d’idéal, qui s’ennuie profondément, surtout dans les villages intérieurs laissés en jachère.
Une expérience de catharsis
A mi-chemin entre le « road-novel » à la Jack Kerouac et le récit initiatique à l’Africaine, Bénarès s’est imposé comme un classique de la littérature francophone à cause de son écriture dépouillée, exigeante, minimaliste. Ses phrases courtes, sa construction sophistiquée et son souci de moins raconter une histoire que de mettre en lien ici et ailleurs, font de Barlen Pyamootoo un formidable cartographe des âmes en peine. On lit les 90 pages de Bénarès d’une seule traite. C’est une expérience de catharsis comme peu de romanciers savent le proposer.
Bénarès, par Barlen Pyamootoo. Editons de l’Olivier, 1999, 91 pages.
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