Littérature classique africaine
Society & Culture
Disparue en 2005, à l’âge de 40 ans, la romancière zimbabwéenne Yvonne Vera est l'auteure d'une œuvre littéraire brève mais prometteuse d’inventivité et de poésie. Cette œuvre, composée de 5 romans et un recueil de nouvelles, explore les drames de l’histoire contemporaine du continent africain à travers le vécu des femmes, réduites trop longtemps à la domesticité et au silence. Récit tragique de la terrible guerre civile qui a ensanglanté le Zimbabwe au début de son indépendance, son dernier roman Les Vierges de pierre est un chef-d’œuvre représentatif du style éclaté et puissamment poétique de son auteure.
Une tradition littéraire ancienne
L’ancienne Rhodésie du Sud, devenue le Zimbabwe en 1980, au terme d’une longue et sanglante guerre d’indépendance, possède une longue tradition littéraire. Une tradition qui s’est développée d’abord dans les langues vernaculaires, notamment le shona et, dans une moindre mesure, le ndebele.
Depuis les années 1960-1970, ce pays est devenu aussi l’un des grands pourvoyeurs de récits littéraires en anglais, avec des romanciers talentueux comme Charles Mungoshi, Tsitsi Dangarembga, Chenjerai Hove et Dambudzo Macherera, auteur du puissamment moderniste House of Hunger (Maison de la faim), considéré comme l’un de grands classiques de l’anglophonie africaine. Ces pionniers de la littérature anglophone zimbabwéenne ont raconté la guerre, la faim, mais aussi l’amour et la beauté de leur pays, avec une sensualité lyrique qui est peut-être le trait caractéristique de cette littérature.
Cette approche sensuelle et poétique, on la retrouve aussi chez Yvonne Vera, qui fait partie de ce groupe d’écrivains pionniers du Zimbabwe.
Une écrivaine trop tôt disparue …
Yvonne Vera est décédée en 2005, à l’âge de 40 ans. La disparition précoce de cet écrivain bourré de talents fut une tragédie pour les lettres africaines. Au cours d’une brève carrière littéraire qui a duré dix ans, elle a produit une œuvre prometteuse, composée de quelques cinq romans et un recueil de nouvelles. A cause de la voix poétique et puissante qui les anime, ses romans sont considérés aujourd’hui comme des modèles par la jeune génération de romanciers africains.
Paru en 2002, Les Vierges de pierre est le dernier livre que Vera a publié avant sa mort. Il est considéré comme son roman le plus abouti. Ce récit dramatique de guerre et de dévastation s’ouvre sur une longue digression par le centre ville de Bulawayo, la deuxième ville du pays, où les jacarandas et les flamboyants en fleur embaument les rues. Celles-ci portent les noms d’écrivains romantiques anglais, Keats, Tennyson, Byron ou encore Coleridge. Ces rappels quasi-obsessifs de la beauté du monde et de sa poésie ponctuent la narration de Yvonne Vera. En immergeant son récit dans le paysage environnant, la nature, la terre, la montagne, évoqués avec une émouvante sensualité poétique, l’auteure semble vouloir aménager une sorte de consolation, face aux violences et atrocités que subissent ses protagonistes.
De guerre anti-coloniale à la guerre civile
L’action se déroule à Kezi, à quelques encablures de Bulawayo, dans la province rebelle du Matabeleland. Kezi est une enclave rurale entourée de hautes collines de pierre. Un lieu paradisiaque, où « le ciel est si proche et si infini que l'esprit flotte, pénétré du spectacle le plus énigmatique », écrit la romancière. Mais le paradis se transforme vite en enfer lorsque trois années après l’indépendance du Zimbabwe, tout le Matabeleland s’élève contre la mainmise des hommes du président Mugabe, héros de la guerre de libération. Harare dépêcha alors sa 5e brigade, réputée pour sa brutalité. La répression fut d’une sauvagerie inouïe et fit plus de 20 000 morts. A travers l’histoire fictive de deux sœurs, victimes de ces brutalités, Yvonne Vera raconte la descente aux enfers des habitants de Kezi.
Les deux sœurs, Thenjiwe et Nonceba, ce sont elles les « vierges de pierre » du titre, nommées ainsi d’après les peintures rupestres des femmes qui ornent les grottes dans les collines avoisinantes. Elles ont survécu à la guerre coloniale et ont dansé ensuite à perdre haleine pour souhaiter la bienvenue à l’indépendance. La plus âgée du duo, la belle Thenjiwe a même connu un grand amour. Or, trois années après l'accession du Zimbabwe à l'indépendance, la guerre a repris de plus belle, opposant cette fois les Zimbwéens entre eux. Elle va ravager la vie des deux sœurs. Thenjiwe est décapitée, Nonceba violée et atrocement mutilée. Sibaso, leur bourreau, est abîmé par la guerre : il tue sans savoir pourquoi.
Promesse de délivrance
L’espoir et le désespoir se mêlent tout au long de ce magnifique roman. Il faut lire Les Vierges de pierre comme la métaphore d’une société zimbabwéenne hantée par les traumatismes de son passé et tentant laborieusement de se réinventer. Il se clôt sur la promesse murmurée de cicatrisation, la cicatrisation des blessures infligées par les guerres tant aux hommes qu’au paysage aride et majestueux de Kezi qui sert de cadre aux drames des années 1980. C’est un paysage en attente de « délivrance ». Et il se trouve que « délivrance » est aussi le dernier mot de ce roman.
Les Vierges de pierre, par Yvonne Vera. Traduit de l’anglais par Geneviève Doze. Editions Fayard, Paris, 2003.
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