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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
Charles Aznavour - Vivre avec toi
50.Jour J – 3
Avec Alice, nous faisons l’amour moins souvent mais de mieux en mieux. J’effleure ses centimètres carrés favoris. Elle ferme mes yeux. Avant elle jouissait une fois sur deux, maintenant elle jouit une fois par fois. Elle me laisse écrire tout l’après-midi. Pendant que je travaille, elle se dore au soleil sur la plage. Vers six heures du soir, elle revient et je lui prépare une mauresque bien glacée. Puis je vérifie son bronzage intégral. Je trais ses pamplemousses. Elle me suce, puis je l’encule. Ensuite, elle lit ceci par-dessus mon épaule et me demande de supprimer « je l’encule ». J’accepte, j’écris « je la prends », et quand elle s’éloigne je fais un petit « Pomme-Z » sur mon Macintosh. La littérature est à ce prix, l’Histoire des Lettres n’est qu’une longue litanie de trahisons, j’espère qu’elle me pardonnera. Je refuse de finir Tendre est la nuit ; j’ai comme un sinistre pressentiment : à mon avis, cela ne va plus très fort entre Dick Diver et Nicole. J’écoute La Sonate à Kreutzer en songeant au roman éponyme de Tolstoï. L’histoire d’un homme trompé qui tue sa femme. Le violon et le piano de Beethoven lui ont inspiré le couple. Je les écoute se rejoindre, s’interrompre, s’envoler, se quitter, se réconcilier, se fâcher, et enfin s’unir dans le crescendo final. C’est la musique de la vie à deux. Le violon et le piano sont incapables de jouer seuls…
Si notre histoire tourne court, je serai complètement blasé. Jamais je ne pourrai donner autant à quelqu’un d’autre. Finirai-je ma vie en baisant des putes de luxe et des cassettes vidéo ?
Il faut que ça marche.
Il faut que nous parvenions à passer le cap des trois ans. Je change d’avis toutes les secondes.
Peut-être faudrait-il que nous vivions séparés. La vie à deux, c’est trop usant.
Je n’ai pas de tabou ; l’échangisme ne me choque pas. Après tout, quitte à être cocu, autant l’organiser soi-même. L’union libre, c’est cela la solution : un adultère sous contrôle.
Non. Je sais : il faut que nous fassions un enfant, vite !
J’ai peur de moi. Le compte à rebours égrène ses journées de Damoclès. Dans trois jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
51. Jour J – 2
L’erreur est de vouloir une vie immobile. On veut que le temps s’arrête, que l’amour soit éternel, que rien ne meure jamais, pour se prélasser dans une perpétuelle enfance dorlotée. On bâtit des murs pour se protéger et ce sont ces murs qui un jour deviennent une prison.
Maintenant que je vis avec Alice, je ne construis plus de cloisons. Je prends chaque seconde d’elle comme un cadeau. Je m’aperçois qu’on peut être nostalgique du présent. Je vis parfois des moments si merveilleux que je me dis : « Tiens ? Je vais regretter ce moment plus tard : il faut que je n’oublie jamais cet instant, pour pouvoir y repenser quand tout ira mal. » Je découvre que pour rester amoureux, il faut une part d’insaisissable en chacun. Il faut refuser la platitude, ce qui ne veut pas dire s’inventer des soubresauts artificiels et débiles, mais savoir s’étonner devant le miracle de tous les jours. Être généreux, et simple. On est amoureux le jour où l’on met du dentifrice sur une autre brosse à dents que la sienne.
Surtout, j’ai appris que pour être heureux, il faut avoir été très malheureux. Sans apprentissage de la douleur, le bonheur n’est pas solide. L’amour qui dure trois ans est celui qui n’a pas gravi de montagnes ou fréquenté les bas-fonds, celui qui est tombé du ciel tout cuit. L’amour ne dure que si chacun en connaît le prix, et il vaut mieux payer d’avance, sinon on risque de régler l’addition a posteriori. Nous n’avons pas été préparés au bonheur parce que nous n’avons pas été habitués au malheur. Nous avons grandi dans la religion du confort. Il faut savoir qui l’on est et qui l’on aime. Il faut être achevé pour vivre une histoire inachevée.
J’espère que le titre mensonger de ce livre ne vous aura pas trop exaspéré : bien sûr que l’amour ne dure pas trois ans ; je suis heureux de m’être trompé. Ce n’est pas parce que ce livre est publié chez Grasset qu’il dit nécessairement la vérité.
Je ne sais pas ce que le passé me réserve (comme disait Sagan), mais j’avance, dans la terreur émerveillée, car je n’ai pas d’autre choix, j’avance, moins insouciant qu’autrefois, mais j’avance quand même, j’avance malgré, j’avance et je vous jure que c’est beau.
Nous faisons l’amour dans l’eau translucide d’une crique déserte. Nous dansons sous des vérandas. Nous flirtons au bord d’une ruelle mal éclairée en buvant du Marqués de Cáceres. Nous n’arrêtons pas de manger. C’est la vraie vie, enfin. Quand je l’ai demandée en mariage, Alice a eu cette réponse pleine de tendresse, de romantisme, de finesse, de beauté, de douceur et de poésie :
— Non.
Après-demain, cela fera trois ans que je vis avec elle.
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